lundi 8 avril 2013

Gaspard de la Nuit - Le Raffiné


LE RAFFINÉ


Un fendant, un raffiné.

Poésies de Scarron.


   - « Mes crocs aiguisés en  pointes ressemblent à la queue de la tarasque, mon linge est aussi blanc qu’une nappe de cabaret, et mon pourpoint n’est pas plus vieux que les tapisseries de la couronne.

   « S’imaginerait-on jamais, à voir ma pimpante dégaine, que la faim, logée dans mon ventre, y tire, - la bourrèle ! – une corde qui m’étrangle comme un pendu !

   « Ah ! si de cette fenêtre, où grésille une lumière, était seulement tombée dans la corne de mon feutre, une mauviette rôtie au lieu de cette fleur fanée !

   « La place Royale est, ce soir, aux falots, claire comme une chapelle ! - « Gare la litière ! » - « Fraîche limonade ! » - « Macarons de Naples ! » - « Or çà, petit, que je goûte avec le doigt ta truite à la sauce ! Drôle ! il manque les épices dans ton poisson d’avril ! »

   « N’est-ce pas la Marion De l’Orme au bras du duc de Longueville ? Trois bichons la suivent en jappant. Elle a de beaux diamants dans les yeux, la jeune courtisane ! – Il a de beaux rubis sur le nez, le vieux courtisan ! »

*

   Et le raffiné se panadait, le poing sur sa hanche, coudoyant les promeneurs, et souriant aux promeneuses. Il n’avait pas de quoi dîner ; il acheta un bouquet de violettes.



Van Dyck (1599 - 1641)


   Le texte est issu du Second livre des Fantaisies de Gaspard de la Nuit, Le vieux Paris.

   Les crocs sont ici les extrémités de la moustache ; la tarasque était une bête immonde terrorisant les environs de Tarascon jusqu’à ce que sainte Marthe, patronne de la ville, y mette bon ordre. Bourrèle est le féminin de bourreau. La mauviette dont rêve le raffiné est une alouette grasse. La place Royale est l’ancien nom de la place des Vosges, ainsi rebaptisée en 1800 pour honorer la diligence du département à payer l’impôt pendant la Révolution.

   Victor Hugo a consacré un drame à Marion de Lorme (l’orthographe du nom est fluctuante). Les rubis du duc de Longueville sont plus prosaïquement de gros boutons rouges. Enfin, se panader signifie se pavaner ; Bertrand est allé chercher ce verbe charmant chez les auteurs du XVIIe siècle.

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